CONTRAT DOCTORAL DE RECHERCHE PAR LE PROJET

Sara KAMALVAND

Casa de Velázquez – Ensa-PB, Université Gustave Eiffel, ED VTT
Dir. : Béatrice Mariolle et Julio Navarro Palazón

CONTACTO - WEB

 

RÉSUMÉ DU PROJET DE RECHERCHE PAR LE PROJET

TITRE DU PROJET DE RECHERCHE : Les voyages de l’eau : du jardin au cosmique

Sara Kamalvand (1975, Téhéran) est une artiste et architecte dont le travail questionne les nouvelles reliances entre la ville et la nature. « Les voyages de l’eau : du jardin au cosmique » interroge la relation entre le paysage, l’architecture et l’eau à travers une infrastructure millénaire et son implication avec l’histoire des jardins. Cette recherche par le projet interroge la possibilité d’exhumer un réseau d’irrigation ancestrale et abandonné à Madrid : « los viajes de agua » ou « les voyages de l’eau ». Cette infrastructure, à la fondation de la ville au 9ème siècle, prend ses origines dans la Perse antique à l’invention du jardin persan ou « pairidaēza », métaphore du cosmos des zoroastriens.

Ce doctorat vise à mener une investigation sur l’archéologie de ce savoir à Madrid, et dans le contexte plus large de l’Al Andalous et de son héritage sur la péninsule Ibérique. Elle a l’ambition de saisir comment la mémoire de la ville et la reprise en main de ce savoir-faire ancien peuvent répondre aux enjeux de la crise écologique actuelle, d’interroger les continuités possibles de ce patrimoine dans ses dimensions matérielles et immatérielles, de réconcilier le sol et le sous-sol.

« Les Voyages de l’Eau » a une double vocation rétrospective et prospective. D’une part, il va aborder une enquête historique et iconographique depuis les origines de l’infrastructure à la Perse antique à son déploiement à Madrid pour construire un récit qui annonce l’hypothèse du jardin zoroastrien comme modèle primitif du jardin de la Renaissance. D’autre part, il va proposer l’implantation d’une « œuvre-jardin » en ville comme hypothèse spatiale de réactivation du système. L’un tirant l’enseignement sur l’autre. Ce travail prendra appui sur un travail important de documents d’archives, pour aboutir à la création de dessins et de cartes originaux, puis à la conception d’objets et d’une œuvre de conservation de l’eau et mémoire de la ville dans l’espace public.

[Description détaillée du projet en bas de page]
 

 

PARCOURS ACADÉMIQUE

2022-2025 : CDU Casa de Velázquez - Ecole Nationale Supérieur d’Architecture Paris-Belleville, Université Gustave Eiffel, ED VTT, dirigé par Béatrice Mariolle et Julio Navarro Palazón

1995-2001 : Master d’Architecture, École Spéciale d’Architecture, Paris
 

RÉSIDENCES

2021 : Le Dôme Festival #06

2019-2020 : membre artiste à Académie de France de Madrid, Casa de Velázquez

2017-2018 : Cité Internationale des Arts, Paris

2017 : Ideas Cities, Fondation LUMA, Arles

2015 : Centre Culturel Internationale de Cerisy, Normandie
 

EXPOSITIONS

2021 : Polaris, la petite galerie, Cité Internationale des Arts, Paris

2021 : Les Voyages de l’Eau, Maison de l’Architecture, Nantes

2021 : Itinérance, Académie des Beaux Arts, Paris

2020 : Les vies minuscules, VIVA VILLA, La Collection Lambert, Avignon

2020 : ARCO Foire Internationale d’Art Contemporain, section ArtsLibris

2020 : AT3LI3R V3LAZQU3Z, galerie Loo&lou, Paris

2017 : Tehran garden festival, Kunstfort, Amsterdam

2017 : Relief plan for a belvedere, Platform28 for art and architecture, Téhéran

2016 : Mapping Mehrgerd, Musée d’Art Contemporain de Téhéran, Iran

2015 : Iran Dessus-Dessous, Fondation Nicolas Michelin, Paris

2012 : Inside-Out, Toronto Free Gallery, Canada
 

ACTIVITÉ PÉDAGOGIQUE

2022 : École Nationale d’Architecture Paris-Est, atelier de dessin et narration

2020 : École Nationale d’Architecture de Marrakesh, atelier de projet paysage, architecture et eau

2015-2018 : École Spéciale d’Architecture, atelier de projet Master-lab Habiter l’Anthropocène

2018 : École Nationale de Paysage de Versailles, atelier de projet Master Nature et Ville
 

DIRECTION DE WORKSHOP VIA LA PLATEFORME DE RECHERCHE PERSONNELLE HYDROCITY

2019 : Objet-Milieu, ETSAM, Madrid

2018 : Ingruttati Palermo, Manifesta12, UNIPA, Palerme

2017 : Made in Tehran #04, Platform28 for art and Architecture, Iran

2014 : Re-Use Yazd, Université de Yazd, UNESCO-ICQHS

2012 : Mesocity, Université de Téhéran
 

MAÎTRISE D’OEUVRE

2022 : Maison Sibel, aménagement extérieur, Le Pecq

2017 : Appartement Iranshahr, Téhéran

2014 : Appartement Lauxerois, Paris

2008 : Villa Sarvelat, Mer Caspienne
 

ÉDITION ET PUBLICATIONS

2020 : The Invisible Monument, BonGah, 17x23cm, 128p, ISBN 978-600-5268-42-3

2017 : Re-Use Yazd, Ecologie politique de l’eau, éditions Hermann

2012 : Art, ecology and the city, Nafas Art Magazine

2010 : Tehran 2050, Urban Hybridization in Modern Territories, Milan Polytechnique
 

CONFÉRENCES

2022 : Vermont college of Fine Arts, US

2021 : Les Moyens du Bord, Morlaix

2018 : ENSA, Quai Malaquais, Paris

2018 : Cité de l’Architecture, Paris

2018 : Columbia Global Centres, Paris

2017 : Tehran Urban Innovation Center, Iran

2017 : Tarbiat Modaress University, Téhéran

2017 : Institut Français de Recherche en Iran, Téhéran

2016 : SOAS, University of London, UK

2013 : Musée Ghassr, Téhéran
 

PRIX, DISTINCTION ET BOURSES

2017 : Institut Français

2016 : Butane Industrial

2014 : Flora Family Foundation

2014 : Soudavar Family Foundation

2008 : Château d’Eau, ESA-Paris

2001 : Lauréat du prix du meilleur diplôme, ESA-Paris

 

RECHERCHES EN COURS

Les voyages de l’eau : du jardin au cosmique

Cette recherche trouve ses fondements dans une double formation d’architecte et d’artiste, engagée dans les questions écologiques et la nature en ville. L’ouvrage publié en 2020, Le Monument invisible, traitant de la ville de Téhéran en représente un premier jalon. L’année passée à Madrid à la Casa Velázquez a permis de poursuivre ce travail, par le biais d’un travail sur l’héritage hydraulique partagé entre le qanât iranien, et « les voyages de l’eau » espagnols.

L’objet-jardin se trouve au centre de ce propos, en tant que symbiose entre l’humain, la nature et l’artefact, paradigme théologique et originel de la civilisation occidentale, espace mythologique de l’après-vie. Le mot « paradis » vient du persan « pairi-daeza » qui veut littéralement dire ‘enclos’ du jardin. Le jardin persan figure comme l’hétérotopie la plus ancienne pour Foucault, qui le qualifie de microcosme : « le jardin (persan), c’est la plus petite parcelle du monde et puis c’est la totalité du monde. ».En effet, cet espace millénaire était conçu comme une métaphore du cosmos par les Zoroastriens, des prêtres-astrologues possédant une des plus anciennes cosmologies héliocentriques de l’histoire de l’humanité. Pour la civilisation iranienne, le jardin était l’unité fondamentale habitable. C’est à partir de lui que toute autre architecture se développa.

La genèse de cet archétype résulte d’un manque, le manque d’eau. Le contexte contraint des territoires arides du plateau central iranien, caractérisé par l’absence d’eau en surface a poussé les populations à chercher cette ressource essentielle dans le sol. « La civilisation des eaux cachées », publié au début du XIème siècle, est le premier traité sur l’acquisition des eaux souterraines par la technique des qanâts. Soumis aux impératifs naturels, l’invention de cette infrastructure a réglé la question de l’alimentation de l’eau et a idéalisé le jardin en milieu aride. L’eau est le centre névralgique du jardin persan matérialisé par son apparition en surface dans un bassin central en forme de carré. Ce bassin est conjointement une analogie à la voute céleste et les quatre orientations-saisons de la terre.

Le qanât est une infrastructure qui achemine les précipitations du microclimat d’un massif montagneux vers une nappe phréatique de la plaine alluviale voisine, où elles sont captées par capillarité et infiltration et enfin transportée en surface par la seule force gravitaire. Des galeries souterraines sont creusées à la main, à même la roche, pour irriguer l’eau en surface. C’est une sorte d’aqueduc souterrain. L'inclinaison du terrain détermine la longueur et la trajectoire du qanât, depuis le point de captage souterrain jusqu'à l'exutoire. La mise en place de ce réseau a nécessité une maîtrise considérable des calculs de pente à distance, et se trouve sans doute être une des origines de la géométrie. L’exécution demandait des efforts inestimables pour creuser en souterrain dans une direction précise et à une pente constante. Le réseau apportait une source d’eau en surface, reliant ville, jardin, et agriculture dans une logique territoriale linéaire d’irrigation, et une politique de partage de l’eau.

Cette infrastructure a servi comme instrument d’expansion à plusieurs reprises dans l’histoire. Les qanâts ont été utilisés pendant la dynastie Achéménide, le « Premier Empire perse » (550-330 av. J.-C.), un des plus grands empires de l’antiquité. Leur construction a servi à créer une mise en réseau agricole irrigué qui permettait une culture permanente, de grands élevages de bétail, et une puissante cavalerie. La gestion de l'eau et la colonisation agricole étaient les fondements de la puissance militaire des Achéménides. Sous leur règne, des qanâts ont été construits en Jordanie, en Syrie, au Liban et en Égypte, dont certains sont encore en activité à ce jour.

Par la suite au Moyen Âge, avec l’expansion arabe, elle a servi à construire une série de ville-horticole, jalonnant la route de la Soie, depuis la Chine à l’Andalousie sur une bande aride de l’Ancien Monde. Les villes ont prospéré grâce à ce savoir-faire. Un modèle de mise en œuvre imposé par les infrastructures souterraines et stimulé par l'écologie des jardins dans des lieux comme Palerme, Madrid et Marrakech entre autres. Et puis à la conquête du « Nouveau Monde » par les Espagnols qui avaient acquis ce savoir-faire sur leur propre territoire, les qanâts ont servi à l’économie coloniale au Mexique et auraient même servi à la fondation de Los Angeles.

Les conditions naturelles ont guidé cette expansion. En utilisant les qanâts, les colonisateurs ont pu développer des territoires marginaux où l'implantation humaine était difficile, voire impossible, notamment dans les territoires arides. D’une certaine façon, l'aridité était leur marge de manœuvre. Leur sphère d’influence s’est jouée au sein d’une géographie typique composée de montagnes et de plaines alluviales, qui assurerait les conditions écologiques pour pratiquer l'exploitation minière en eau profonde, l'irrigation, l’horticulture, l'agriculture, et l’établissement de villes nouvelles.

Située sur la plus grande nappe phréatique d’Espagne, Madrid a été fondée au neuvième siècle sur une plaine alluviale au pied de la Sierra de Guadarrama, par l’Émir de Cordoue. L'origine du nom de Madrid signifierait littéralement canal d'eau souterrain, du mot arabe « madjrah ». Cette richesse en eau courante a conduit le choix de Philippe II après la Reconquista de faire de Madrid la capitale. Quand le pouvoir a changé de mains sur la péninsule Ibérique, un transfert de savoir s’est fait, et à la Renaissance, le Madrid des Habsbourg s’est développé intrinsèquement avec ce savoir-faire. Le réseau, nommé « los viajes de água » en espagnol, littéralement « les voyages de l’eau » fournissait une source d’eau abondante et constante, même pendant les mois de sécheresse estivale, favorisant des conditions exceptionnelles pour l’horticulture. L’eau était d’une telle qualité qu’une des fontaines qui fournissait de l’eau au frère du roi en Hollande : la fontaine Berro, créée en 1520, est toujours active aujourd’hui. Tout le maillage urbain de Madrid est façonné par ces galeries souterraines qui courent sous la ville. L'eau a fait surface dans les jardins et les quarante-trois fontaines publiques pendant plus de huit siècles avant d'être abandonnée à la révolution industrielle, lorsque l'exode rural et le mouvement hygiéniste ont exigé un plus fort débit et des réglementations sanitaires plus strictes.

Aujourd’hui le réseau est enseveli sous les couches du temps, et sa mémoire se dilue dans l’effacement.

Enjeux : une réémergence des réseaux de qanâts madrilènes

Si la notion de crise climatique veut dire une rupture d’équilibre menaçant la survie du système, elle sous-tend aussi le moment critique de recouvrement, « Guérir ou mourir ». Face à l’héritage de la Modernité et la croyance aveugle au progrès, à l’accélération et la destruction des milieux dont les infrastructures hydrauliques sont témoin, interroger notre reliance à la nature, à l’eau, s’avère tout à fait vital. « Relier » relève d’un dialogue, de liens solidaires entre des éléments. Au sein de cette interaction entre l’humain et la nature se joue aussi une relation de l’ordre du sensible et comme dit Jacques Rancière du regard. D’une part nous sommes dépendants de la nature pour nous nourrir et nous soigner, d’autre part nous l’aménageons. Notre dépendance est autant physiologique qu’esthétique.

Face à la crise du climat et la pénurie d’eau actuelle en Espagne, cette recherche par le projet propose de trouver des hypothèses spatiales de reprise en main de ce réseau. Selon le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) la partie méridionale de la péninsule ibérique et la meseta (plateau central) sont menacés de désertification selon divers scénarios. Pourtant l’eau continue à couler de manière disparate et délaissée dans le réseau abandonné. Dans un monde moderne habitué aux lourdes infrastructures irréversibles, ce système devrait être reconsidéré comme hautement écologique et très résilient. Cette infrastructure hydraulique est un patrimoine caché qui doit être exhumé et sauvé de l'oubli.

Cette recherche par le projet vise à mener une investigation sur l’archéologie de ce savoir à Madrid, et dans le contexte plus large de l’Al Andalous et de son héritage sur la péninsule Ibérique. Elle a l’ambition de saisir comment la mémoire de la ville et la reprise en main de ce savoir-faire ancien peuvent répondre aux enjeux de la crise écologique actuelle, d’interroger les continuités possibles de ce patrimoine dans ses dimensions matérielles et immatérielles, de réconcilier le sol et le sous-sol.

Une infrastructure a deux significations particulières. D’une part, elle relève d’un élément de la construction qui est infra, « dessous », mais qui est fondamental au bon fonctionnement de l’ouvrage, et sert souvent à la distribution des flux. D’autre part, elle définit la structure sous-jacente d'une œuvre ou d’une organisation. Cette deuxième définition constitue l’infrastructure comme dispositif, ayant une fonctionnalité opératoire au-delà du service qu’elle déploie. C’est le sens donné par Giorgio Agamben qui élucide un dispositif dans sa capacité de capturer, d'orienter, les gestes et les conduites, des êtres vivants. Bien que souvent sous-estimées en architecture, les infrastructures sont la base sous-jacente qui soutiennent un système social dans des rôles aussi bien politiques et culturelles qu'économiques et esthétiques.

Pour comprendre les concepts et idées fondamentaux déployés par le qanât, cette recherche sur le réseau à Madrid est indissociable d’une perspective historique sur le jardin persan, comme espace absolue lié à cette infrastructure. En tant que motif archaïque, le jardin persan est porteur de mythes ancestraux. Il inculque des relations analogiques entre l’humain et la nature qui peuvent être révélateur de nouveaux récits et résonne avec le questionnement nécessaire sur la remise en question de la position contemporaine des humains dans le milieu. Comment cet espace millénaire s’est développé au sein des sphères de la philosophie Zoroastrienne, en architecture et en art ? De quelle manière va-t-il être adapté sur la péninsule Ibérique et quelle influence a-t-il eu sur le jardin andalou, puis celui de la Renaissance ?

Il est important de définir ce terrain de conscience pour mieux appréhender le terrain géographique, urbain et social, à Madrid, où l’enjeu sera de reconnecter la population aux savoirs anciens de son milieu comme une manière écologique de réapprendre à vivre in situ. Le qanât sera utilisé comme outil de lecture pour dessiner la mémoire de la ville, sur la trace des fontaines et des jardins. Le travail ouvrira nécessairement un cadre sur le grand territoire pour appréhender les bassins versants, les nappes phréatiques et la botanique territoriale. Ces éléments s’agenceront à l’histoire de la morphologie urbaine en lien avec la gestion de l’eau, et l’étude des espèces cultivées.

 

 

 

 

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30/06/2024 - Français