La Silla del Papa (Tarifa, Cádiz)
Ville protohistorique et punique du détroit de Gibraltar
Site clé de la rive nord du détroit de Gibraltar, l’oppidum de Bailo / La Silla del Papa fut occupé pendant tout le premier millénaire avant notre ère, jusqu’à son abandon au début du règne d’Auguste, date à laquelle une nouvelle ville, qui prit plus tard le nom de Baelo Claudia, fut construite sur la côte. La longue histoire de Bailo est marquée par des contacts successifs avec les Phéniciens, les Carthaginois et les Romains, sur un fond d’échanges continuels avec l’autre rive du Détroit.
Le site est connu depuis le début du XXe siècle, mais son exploration archéologique n’a commencé qu’en 2007 et n’a pris de l’ampleur qu’en 2014, grâce à l’appui de l’ANR (programme franco-allemand ARCHEOSTRAITS, 2014-2018), le ministère des Affaires étrangères, la Casa de Velázquez, l’UMR TRACES 5608 (CNRS - université de Toulouse), l’université d’Alicante, l’université de Séville et le Conjunto Arqueológico de Baelo Claudia.
Topographie et urbanisme
Le site archéologique de la Silla del Papa se trouve à 4 km de la côte, sur le point le plus élevé d’une petite chaîne côtière qui culmine à 457 m et constitue l’un des principaux points de contrôle du détroit à l’ouest de Tarifa (fig. 1 et 2). Le lieu présente trois importants atouts : de puissantes défenses naturelles, la proximité de plusieurs sources pérennes, et une position dominante offrant des vues lointaines dans toutes les directions. L’organisation spatiale de l’agglomération antique est conditionnée par l'existence de deux barres rocheuses parallèles orientées nord-sud qui délimitent un étroit couloir de 420 m de long (fig. 2). Des sondages ont montré que l’ensemble du site avait été occupé au Premier âge du Fer, du Xe au VIIe siècle a.C. Même en restituant un habitat à maillage espacé, tout porte à croire qu’il s’agissait, dès cette époque, d’une place centrale occupant plusieurs hectares.
L’urbanisme de Bailo n’est bien documenté que pour la dernière phase d’occupation du site, aux IIe et Ier siècles a.C. Un habitat dense se concentrait entre les deux lignes de crête qui étaient complétées et rehaussées par une enceinte fortifiée, mais la zone occupée s’étendait extra-muros sur les premières pentes, sur une dizaine d’hectares en tout. Les contraintes topographiques suscitèrent des formes d’urbanisme originales. Les parois rocheuses naturelles furent mises à profit pour appuyer des maisons à plusieurs étages dont témoignent de nombreuses entailles, des plates-formes artificielles, des logements de poutres et des escaliers. L’inventaire systématique de ces vestiges négatifs, après débroussaillage, a livré de nombreuses informations qui, même sans fouille, permettent de restituer une bonne partie du plan de l’oppidum. Une aire de fouilles en extension a été délimitée au milieu du site, dans une des zones les mieux conservées. Les travaux en cours portent sur des maisons en vis-à-vis de part et d’autre de la rue principale nord-sud. Le cas le plus remarquable est celui de la maison B2 : grâce à ses ancrages dans une paroi rocheuse presque verticale, il est possible de restituer trois étages surmontés par un toit-terrasse, un système de canaux de dérivation creusés dans la paroi la mettant à l’abri des eaux de ruissellement (fig. 3).
Les nécropoles
En dehors de l’agglomération fortifiée qui occupait les trois hectares du sommet, et en marge d’un espace périurbain occupé de façon discontinue et encore mal connu, deux nécropoles ont été découvertes et partiellement fouillées, l’une au sud-ouest, l’autre au nord-ouest (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01962206). Toutes les deux présentent des caractéristiques communes très originales. Les monuments en pierre de taille ronds et carrés qui ont été mis au jour avaient pour seule fonction la signalisation d’un emplacement probablement réservé à une famille ou à un groupe particulier. Ils ne contiennent pas de sépultures : les enterrements, disposés autour de ces monuments, sont constitués par des urnes cinéraires déposées en pleine terre ou dans un loculus protégé par des pierres, sans aucun mobilier funéraire en dehors de l’urne. Des cippes ou stèles frustes signalaient en surface certains de ces enterrements. Les dépôts qui ont été fouillés sont datés entre la fin du IIIe et le milieu du Ier siècle a.C. Ces caractéristiques distinguent les pratiques funéraires de Bailo de tout ce que l’on connaît à l’âge du Fer dans le sud de l’Espagne, mais elles ont, au moins pour partie, des parallèles en Afrique du Nord.
La nécropole nord-ouest (zone J) s’étend sur environ deux hectares, à 170 m au nord de l’agglomération. Ses 27 monuments funéraires s’étagent sur un versant qui dominait la principale voie d’accès ; trois d’entre eux, plus grands et plus hauts que les autres, sont construits sur la crête, dans un évident souci de scénographie ostentatoire (fig. 4). La deuxième nécropole (zone D) s’étend sur une vaste terrasse au sud-ouest du sommet de l’oppidum. Des bases de monuments carrés y ont été mises au jour en 2017 et 2018. Deux fois plus grandes que celles de l’autre nécropole (entre 6 et 7 mètres de côté), elles montrent que cette nécropole était celle des familles les plus riches et les plus puissantes de la cité. De nombreux blocs remployés ont de plus été retrouvés dans les murs de bâtiments plus récents (fig. 5).
L’église du haut Moyen Âge
Une réoccupation partielle du site est attestée entre le VIe et le IXe siècle de notre ère. Des traces d’habitat très mal conservées existent dans la partie haute, tandis qu’en contrebas une église est construite à l’époque wisigothique sur les ruines de la nécropole préimpériale sud-ouest (fig. 5 et 6). Des phases de destruction partielle, d’occupation résiduelle puis d’abandon montrent que cette église perdit sa fonction religieuse après la conquête arabo-berbère et devint un abri pour bergers avant de tomber en ruine entre le IXe et le Xe siècle. C’est la première fois dans le sud de l’Espagne qu’il est possible de suivre par la fouille l’histoire d’un lieu de culte chrétien entre l’époque wisigothique et l’époque émirale, dans un contexte non perturbé par des réaménagements plus récents (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01976335). Cette découverte renouvelle par ailleurs le débat sur la fin de Baelo Claudia – le site urbain du littoral étant occupé, quoique déclinant, jusqu’au VIe siècle – et pose la question d’un incastellamento qui ramènerait une partie au moins de sa population sur le site de hauteur de la première Bailo.