Thamugadi (Timgad, Algérie)
Carrières et sites antiques
Projet multilatéral et pluriannuel de recherche postdoctorale et pluridisciplinaire en archéologie, géologie, géomatique, archéométrie, etc, il porte globalement sur la mise à jour de la carte archéologique dans la région de Timgad, antique Thamugadi, dans l'Est algérien sur un rayon de 30 km autour de cette ville (fig. 1).
L'étude et la sauvegarde des carrières anciennes dans la région de Timgad figurent au centre de la problématique et de la démarche scientifique. L'étude vise aussi à mettre en évidence le rapport qu'entretenaient la ville de Thamugadi, les centres urbains et autres sites antiques dans cette région avec les ressources naturelles de leur territoire.
Les premières opérations commenceront au début du printemps 2019. Elles auront comme objectif d'interroger de manière novatrice et de documenter ces sites méconnus par une série de prospections, d'analyses archéométriques et d'outils numériques (modélisation 3D, webGIS). Il s’agit également de proposer des supports de diffusion accessibles à tous et destinés à toutes les catégories de public grâce au numérique. Trois sites remarquables sont spécifiquement visés : Lerdhame, Elghar Nithviren et Koudiet Afia (fig. 2 et 3).
État de l'art sur les carrières antiques de la région de Thamugadi
Contrairement à Timgad stricto sensu qui a suscité, de longue date, un intérêt particulier auprès des chercheurs, notamment français (1881-1958), les carrières antiques de pierre commune (calcaire, grès) de cette même région n'ont pas bénéficié du même engouement.
Ce manque d'intérêt pour ces sites, qui se révèlent pourtant exceptionnels (fig. 4) se manifeste par une absence totale d'études et de recherches à l’exception de la thèse récente de Mr. Y. REZKALLAH (REZKALLAH 2017).
Le point est d’autant plus sensible que ces sites inédits sont actuellement en phase de dégradation, voire de disparition, à cause des détériorations qu'ils subissent continuellement. Elles peuvent être naturelles (érosion, ruissèlement) ou anthropiques liées à l’activité extractive de matériaux de construction. À l’intérêt scientifique et historique s’ajoute donc la nécessité de sauvegarder ce patrimoine méconnu et en danger (REZKALLAH and MARMI 2017).
Si les carrières de la région de Thamugadi se révèlent peu connues, plusieurs travaux de recherche en cours de publication sur d’autres régions et provinces romaines de Méditerranée, montrent le dynamisme retrouvé de ce domaine de recherche (BESSAC and AUCHER 1996; BESSAC and SABLAYROLLES 2002; GUTIRREZ GARCIA- MORENO 2009; HIRT 2010; GUTIERREZ GARCIA-MORENO 2012; RUSSELL 2013). Parmi eux, on citera le colloque de Madrid tenu à la Casa De Velázquez qui a permis de faire une synthèse des travaux les plus récents sur les études des carrières du Bassin méditerranéen notamment en Espagne, dans le sud de la France ou encore en Grèce (ROUILLARD, COSTA and MORATALLA 2017).
De ces travaux on retiendra que la plupart s’orientent vers des approches très techniques liées aux procédures extractives liées plus particulièrement aux outils et aux gestes des carriers. Les travaux de J-C. BESSAC notamment sur les carrières du sud de la France ou de Jordanie restent des références sur ces questions. En revanche, très peu d’analyses prennent ces établissements sous l’angle de leur dimension spatiale en les considérants comme les reflets d’une politique de mise en valeur d’un territoire (ROUILLARD, COSTA and MORATALLA 2017). En effet l’exploitation d’une carrière suppose à la fois une connaissance importante du milieu naturel mais aussi une organisation sociale complexe et des infrastructures associées (routes et circulation). Une fois la carrière développée, les matériaux qu’elle produit sont destinés à des utilisations multiples. Il s’agira donc ici de développer une analyse spatiale en 3D permettant grâce à la modélisation, de repérer les sites d’exploitation encore inconnus puis de définir des zones prioritaires nécessitant une intervention sur le terrain pour enregistrement 3D et échantillonnage. Ce SIG 3D, sera construit à l’aide d’une plateforme collaborative, où chaque acteur participant au projet pourra consulter et enrichir le corpus de données, qui sera hébergée par le CNRS (Huma-num) et gérée au sein de l’UMR (UMR ArScAn). Cet outil permettra de dégager les grandes lignes d’organisation de ce territoire et ainsi de mieux comprendre les logiques d’exploitation à la période antique.
Notons que ces établissements d’extraction, dont certains peuvent être particulièrement monumentaux, sont particulièrement complexes à analyser et ce pour plusieurs raisons :
- La première est liée à l’absence de matériel datant sur ces sites (céramiques ou autres) ou encore d’inscriptions. A ce titre, les carrières de la région de Thamugadi offrent un grand potentiel puisque sur deux sites d’extraction, deux bas-reliefs antiques (dont un représentant probablement Mercure) ont été mis au jour par Y. REZKALLAH durant les prospections qu’il a réalisées pour sa thèse. D’autres existent sans doute et restent encore à découvrir ! Ils sont des témoignages assez exceptionnels de ce qu’on peut interpréter comme les traces des pratiques cultuelles de ces communautés dont on ne connait au final que très peu de choses. Toujours, sur la question de la datation, les échantillonnages de matériaux sur les exploitations et les monuments de Timgad couplés aux analyses archéométriques réalisées par Y. REZKALLAH durant son étude ont permis de relier de manière originale des lithotypes (type de roches spécifiques à une exploitation) avec des monuments de la cité, eux-mêmes fort bien datés. Cette relation permet par conséquence de suivre de manière précise les évolutions communes des exploitations et des monuments de cette cité. La constitution d’un échantillonnage complémentaire et systématique sur les carrières et sur les principaux sites archéologiques de la région permettrait de conforter les premières analyses et de rendre plus robuste le modèle créant ainsi une véritable base de référence unique dans le Bassin méditerranéen ;
- La seconde difficulté d’analyse est liée aux morphologies complexes et à leur logique de comblement. Tout d’abord l’extraction de matériaux produit des formes dont l’analyse peut se révéler délicate. Ensuite, la lecture des stratigraphies doit être inversée par rapport à la lecture chronologique d’un site archéologique classique. Les traces d’extractions les plus anciennes sont donc en haut des fronts de taille et les extractions les plus récentes se trouvent en bas. Ainsi seul un examen très détaillé des logiques de gestion des chantiers (taille de module, logique d’extraction, analyse des traces d’outils, etc. permet de distinguer des groupes spécifiques dans ces différents établissements. Ici l’intérêt des outils de relevé 3D prend tout son sens pour l’analyse de ces sites dans leur dimension volumétrique. Il permet de renouveler les logiques d’analyse par la création de clones numériques sur lesquels il est possible de prendre des mesures, de calculer des volumes, etc. De plus, outre l’aspect scientifique, l’utilisation de ces techniques d’enregistrements tridimensionnels permet de sauvegarder ces sites dont nous avons dit plus haut qu’ils étaient en danger de disparition. L’obtention de ces objets virtuels permettra ensuite de produire de nouveaux supports de diffusion vers le public et les acteurs locaux.
Il s’agira donc pour cette année 2019 de participer à la protection de ce patrimoine et à la mise en place d'un socle pour les futures études. Tout d'abord en allant collecter sur le terrain des données archéologiques et techniques qui se trouvent en danger. Ensuite en rendant accessible l'information aux différents acteurs nationaux et internationaux pour des actions de mise en valeur touristique d'un patrimoine méconnu par le biais des outils numériques (web, application mobile, etc.).
Le projet de Timgad est une première étape de construction d'un partenariat scientifique solide et de mise en place d'une coopération culturelle pérenne entre la France et l'Algérie.
Objectifs et résultats attendus du projet
Au-delà de la question patrimoniale qui nous préoccupe pour la mission 2019, la question porte sur l'identification des carrières, des matériaux de construction lapidaires et des sites antiques dans la région de Timgad et la restitution de ces connaissances vers les publics locaux et les chercheurs.
Toute politique de mise en valeur pour être efficace doit s’appuyer sur une démarche scientifique préalable. Il est donc nécessaire de trouver les moyens, d’une part de prospecter, afin d’identifier ces carrières, les documenter, les numériser et d'autre part d’identifier les différents lithotypes de roches locales employées dans les sites antiques de la région, pour tenter de rétablir les relations qui pourraient exister entre les carrières et les sites en utilisant les méthodes d’enregistrement 3D et l’analyse archéométrique.
Le travail de recherche sera organisé et réparti en trois grands niveaux, selon les échelles de l'enquête archéologique :
- Tout d'abord, un niveau macroscopique dans lequel nous regroupons l'étude des carrières antiques, celle des sites et des monuments antiques de la région.
- Ensuite, un niveau intermédiaire dit mésoscopique, dans lequel l'échelle d'étude est ramenée aux traces d'extractions lapidaires dans les carrières et à l'étude des monuments sur lesquels ont été et seront effectués les prélèvements de matériaux de construction.
- Enfin, un niveau microscopique dans lequel peuvent être classés l'inventaire et la documentation du mobilier archéologique (artéfacts, bas-reliefs, traces d'extraction, etc.) et les analyses archéométriques.
D’un point de vue méthodologique, le développement d’un SIG nous permettra de disposer en même temps d'un outil de création, d'analyse, de gestion de données, de planification et d'organisation de travail. Les données dont nous disposons actuellement seront intégrées, puis le SIG sera enrichi au fur et à mesure avec celles qui seront collectées à travers les diverses prospections (sur fond d'imageries ou sur le terrain). De manière complémentaire sur la base des identifications archéométriques qui auront été réalisées, nous allons pouvoir associer une approche photogrammétrique et une modélisation d'un certain nombre de sites d'extraction et de monuments de Thamugadi et de ses environs en 3D comme précisé plus haut.
Dans un second temps, sur la base des connaissances empiriques et des données, qui seront collectées durant les premières phases de la recherche, nous projetons de créer un modèle prédictif qui servira au repérage des sites d'extraction potentiels dans cette région. Il permettra d'estimer l'aire de diffusion des carrières selon le lithotype, le module extractif, les voies de transport, la topographie et le volume des extractions. Il servira aussi pour des études à une échelle micro-régionale dans des contextes géoarchéologiques comparables.
Nous rappelons ici que le travail de terrain constituera l'une des bases sur lesquelles -- reposera cette recherche. Il comprendra, d'un côté, les prospections et les relevés des carrières, des sites et des monuments archéologiques dans un rayon de 30 km autour de l'antique Thamugadi, et de l'autre, l'échantillonnage et les prélèvements archéométriques sur ces sites.
Il s'agit aussi d'aborder en détail les aspects d'extraction, d'exploitation et d'utilisation des matériaux de construction lapidaires dans la zone d'étude. Que pouvons-nous apprendre sur le savoir-faire des constructeurs (maçons) et carriers antiques de cette région à travers les choix des matériaux et des techniques de travail ? Sur les carrières elles-mêmes, peut-on distinguer des spécialisations de l'extraction propres à chacune des exploitations en fonction des techniques, des matériaux ou des besoins fonctionnels ? Est-ce que les structures géologiques, morphostructurales et lithostratigraphiques ont été prises en compte par les carriers dans le choix des sites d’extraction ? Ces mêmes structures ont-elles été prises en compte dans la fondation des centres urbains à cette époque ? Les mêmes questions doivent être posées pour ce qui concerne le transport, l'acheminement et la mise en œuvre des matériaux.
Cette approche donnera lieu aussi à une mise à jour conséquente des connaissances et des données de l''Atlas archéologique de l'Algérie en intégrant les sites qui seront découverts et en incluant les carrières antiques dans le patrimoine culturel algérien.
Enfin, ce projet va permettra d'une part, de concourir à la formation des jeunes doctorants et chercheurs algériens (Université d'Alger, Université de Constantine, CNRA, etc.) par l’accès et la manipulation de nouveaux outils géomatiques et des nouvelles technologies numériques pour la mise en valeur de ce patrimoine et d'autre part, de créer des données et des applications réutilisables et mises à la disposition de toute la communauté scientifique internationale ainsi qu’à l’ensemble des acteurs Algériens.