Thapsus (Rass Dimass, Tunisie)
Port antique de Méditerranée
Les vestiges de la ville antique de Thapsus sont situés à l’emplacement de l’actuelle agglomération de Ras Dimass, sur la façade orientale du Sahel tunisien (fig. 1). Cette position littorale, grâce aux ressources que la mer procure, en fait un endroit particulièrement propice à l’installation humaine depuis la plus haute Antiquité. Néanmoins cet environnement littoral est aussi instable et oppose à l’homme des contraintes fortes auquel il a dû faire face. L’enjeu de ce projet est d’étudier l’histoire de cette ville, de son arrière-pays et de ses populations dans cet environnement particulier et changeant que constitue le littoral sahélien dans une démarche à la fois diachronique – de la période punique à l’Antiquité tardive – et pluridisciplinaire.
La ville dans son environnement : état des lieux
Histoire de l’agglomération antique
Thapsus est d’abord un port. Comme plusieurs établissements de cette région, il pourrait avoir été fondé par les Phéniciens. La plus ancienne mention de la ville est faite par le Pseudo-Scylax (110, éd. Muller 1885), après s’être rangée aux côtés des Romains au cours de la troisième guerre punique, elle devint une cité libre de la province d’Africa. Bien qu’elle se soit ralliée aux pompéiens, ce statut ne paraît pas lui avoir été enlevé après la victoire de César sur ces derniers en 46 av. J.-C. Elle fut le lieu de la victoire décisive de ce dernier sur ses adversaires. Pline la mentionne encore comme bénéficiant de l’immunitas (HN, V, 24) et elle obtint par la suite le statut privilégié de colonie romaine (CIL, XI, 5087). À partir de la fin du IIIe siècle, la cité fut intégrée dans la province de Byzacène après la grande réforme provinciale de l’empereur Dioclétien. Marquée par la christianisation de l’empire, la ville abrita ensuite le siège d’un évêché dont l’existence est attestée en 484 par la charge de Virgilius episcopus Tapsinus. Après l’installation des Vandales, et malgré une très probable transformation importante de son urbanisme classique, l’occupation de la ville se poursuit jusqu’à la période byzantine. Quelques vestiges de l’époque islamique ont également été mis au jour sur le site, la ville semble toutefois avoir été abandonnée au Moyen-Âge et le peuplement s’être déplacé à Bekalta (Younes 1999a, 27).
Une ville littorale
La ville est implantée en bordure littorale, à l’emplacement d’un cap ouvert sur la Méditerranée orientale propice à l’installation d’infrastructures portuaires. Ce fut sans doute l’une des raisons de sa fondation par les Phéniciens.
Avec la conquête romaine, l’activité commerciale et portuaire s’est sans doute développée en profitant des nouveaux courants commerciaux ouverts par l’insertion de l’Afrique dans l’orbite de Rome et l’ouverture des marchés italiens et de Méditerranée occidentale. Le rôle attribué à l’Afrique dans l’approvisionnement de Rome a renforcé l’activité des ports de Byzacène, d’autant que cette région bénéficiait d’une productivité agricole exceptionnelle comme le rappelle Pline l’Ancien (HN, V, 24).
Dans cette zone maritime, se produit également des migrations saisonnières de poissons (thons ou sardines). Le secteur est propice à l’installation de madrague pour la pêche. On y pratique encore aujourd’hui la pêche de poissons blancs à la ligne ou au petit filet. Dans l’Antiquité, la pêche fournissait une matière première pour la transformation des produits de la mer et notamment la production de salsamenta, une activité qui n’est pas toutefois documentée à ce jour à Thapsus, bien qu’elle soit hautement probable. Or, des ateliers de salaisons de poisson sont présents tout le long du littoral tunisien, notamment à Lamta (Leptiminus) et Salakta (Sullecthum) localisées respectivement au nord et au sud de Thapsus (Slim, Bonifay et alii, fig. 1).
L’arrière-pays littoral est marqué par la présence de la sebkha. Il s’agit d’une dépression terrestre à fond plat inondable et séparée de la mer. Généralement, la salinité de ces lacs salés en fait des lieux favorables à l’extraction du sel. Des changements climatiques survenus entre le IVe et le VIIe siècle semblent avoir permis le développement d’une activité de pêche dans ces sebkhas (Slim et alii, 2004, p. 46).
La ville bénéficiait également d’une assez bonne connexion à l’hinterland africain, et abrita par la suite une importante activité portuaire dont témoignaient encore dans les années 1970 les vestiges d’un môle monumental daté de la période romaine (Younes 1999a, 234). Des installations sur la terre ferme devaient nécessairement compléter ce dispositif : des quais, des entrepôts, des citernes, des ateliers, des bureaux, etc. Ces structures sont bien attestées dans de nombreux ports de la Méditerranée (ainsi les horrea d’Hergla à quelque 70 km au nord (Ghalia, Villedieu, Virlouvet, 2011) mais à ce jour, aucune d’entre elles n’a été reconnue sur le site de Thapsus.
Historique des recherches
La ville est mentionnée par de nombreux auteurs anciens de langue grecque ou latine. Elle figure également dans la géographie de Ptolémée et la Table de Peutinger, mentions qui permettent de situer aisément la ville au cap de Ras Dimass entre Lemta et Salakta (Younes 1997). Cette identification est d’ailleurs attestée par les écrits d’Al Maliki au XIe siècle. Du XVIIIe siècle à la première moitié du XXe siècle, ces vestiges suscitent d’abord l’intérêt de différents voyageurs érudits puis de quelques savants dont certains ont laissé des descriptions parfois très détaillées des quelques vestiges encore visibles de la ville à leur époque (l’enceinte de la ville, le môle, l’amphithéâtre et les grands réservoirs). Citons par exemple les relevés d’A. Daux (Daux 1869). Dans le dernier tiers du XXe siècle, des fouilles de sauvetages, partiellement publiées, ont été conduites dans l’amphithéâtre et sur les nécropoles de la ville (Fantar 1978). Une large partie de la documentation disponible a été rassemblée par A. Younes dans sa thèse soutenue en 1997, publiée en 1999 et intitulée « Recherches sur la ville portuaire de Thapsus et son territoire en Byzacène dans l’Antiquité ». Ce travail a le grand intérêt de présenter les résultats de nombreuses prospections pédestres conduites en 1994-1995 sur le territoire de la ville qui ont localisé de modestes mais très nombreuses structures antiques (nécropoles, puits, citernes, murs, fours à chaux, etc.). Depuis quelques années, l’Institut national du patrimoine (INP) a repris les recherches archéologiques sur le site de la ville. Leurs travaux se sont concentrés sur deux secteurs : un édifice monumental encore non identifié situé au cœur de la ville, et sur les vestiges d’un petit fortin médiéval, peut-être lui-même installé sur les fondations d’un temple antique à proximité de la plage. Le temps et les moyens manquent toutefois pour permettre le développement d’une fouille d’ampleur sur ces deux secteurs.
Les vestiges actuels
Peu de fouilles ont été conduites dans la ville comme dans son arrière-pays. La plupart des monuments et autres vestiges identifiés sont le fait de prospections ou de découvertes fortuites. La grande majorité des vestiges se trouve encore sous terre. Toutefois, elle a déjà été l’objet de destructions partielles en raison des labours, des travaux agricoles et des aménagements urbanistiques.
Les vestiges archéologiques de la ville antique
En dehors d’une grande nécropole punique (Fantar 1978), les données sur la ville libyco-phénicienne et l’occupation de son arrière-pays restent encore rares. Quelques informations indirectes nous sont fournies par les sources textuelles et le mobilier céramique dont les témoignages les plus anciens dateraient du Ve s. de notre ère (Younes 1999a, 282-287).
Les restes archéologiques visibles de la ville antique qui s’étendrait sur près d’une quarantaine d’hectares sont peu nombreux, mais témoignent de l’importance et de la richesse de la cité pendant la période romaine dont l’occupation a perduré au moins jusqu’à la période byzantine. L’urbanisme est mal connu : il est difficile de localiser le noyau préromain qui aurait ensuite été englobé dans la ville romaine. Celle-ci semble avoir connu une forte évolution décelable en particulier à travers son enceinte. En effet, s’il ne reste désormais que peu de traces en surface. Selon les restitutions d’A. Daux (Daux 1869) la ville aurait été dotée d’une triple enceinte dont les vestiges auraient été encore en partie en élévation au cours du XIXe s. Son tracé a été restitué (Younes 1999a, 205-212) mais l’ensemble de cette question mériterait des vérifications, car les traces reconnues par A. Daux n’ont jamais été retrouvées et les possibilités d’erreur d’identification de cet ingénieur mandaté par Napoléon III semblent être élevées. Au pied de la muraille, au sud et au sud-ouest, sont localisées deux des quatre nécropoles romaines connues de la ville.
La ville possédait un amphithéâtre bâti en grand appareil (env. 80 m de longueur sur 65 m de largeur) localisé au sud-ouest, à l’extérieur de l’enceinte. Les travaux antérieurs réalisés ont permis de localiser ses deux entrées axiales, son arena, son podium et de reconnaître sa cavea ainsi qu’un corridor de service voûté. Le monument a livré plusieurs fragments de marbre (Younes 1999a, 238-244).
Les restes d’un aqueduc sont signalés au sud-ouest de la ville : il aboutissait à un ensemble de vingt-six grands réservoirs extra muros (105 m sur 67 m) soit 6700 m2. Des adductions partaient de ces grandes citernes pour alimenter la ville intra muros à travers plusieurs citernes publiques ou privées mais les bâtiments dont elles dépendaient ne sont pas encore clairement identifiés (Younes 1999a, 250-263).
L’ensemble de ces édifices monumentaux constituent à eux seuls des marqueurs précieux du degré de développement atteint par l’agglomération. Il faut noter que le centre monumental de la ville n’est pas encore localisé avec précision mais l’inventaire et la répartition des fragments d’architecture monumentale et de marbres a conduit A. Younes à proposer un emplacement correspondant au centre de l’espace intra muros (Younes 1999a, fig. 2b). Le vaste ensemble monumental composé de vastes salles pavées de mosaïques incluant de larges citerne ainsi que des thermes bains, dégagé ces dernières années par des archéologues tunisiens se situe à quelques mètres au sud de ce secteur.
L’habitat est tout aussi méconnu : seules quelques citernes privées sont localisées. Plusieurs fragments de mosaïques ou des tesselles ont été signalées en divers points de la ville.
Enfin, les restes d’un grand môle étaient encore visibles dans les années 1970. Le môle s’étendait sur 1080 m de longueur décrivant un arc de cercle de 65 à 85 m de largeur (selon Slim et alii, 2003, 152 d’après Younes 1999b, p.190) et aboutissait à un phare. L’archéologue A. Lézine a donné une description détaillée de la partie émergée avant qu’elle ne soit engloutie par la construction du port moderne (Lézine 1961, 143). Il relève un môle de 147 m de longueur, épais d’environ 9 à 10 m. Il s’agit d’une jetée construite perpendiculairement au trait de côte mais accrochée sur un affleurement rocheux. Il s’agissait d’une structure maçonnée (des blocs) dont les assises inférieures comportaient une forte proportion de Pouzzolane. Les assises supérieures étaient liées par un mortier moins foncé. A. Lézine interprète de nombreux trous de boulin dans la masse comme les vestiges des cavités ayant accueilli des rondins de bois destinés à servir à la construction. L’ouvrage comportait un parement en pierre taillée disparu mais dont un témoin conservé a été observé par A. Lezine. La partie émergée a disparu lors de la construction du port moderne. D’autres môles, plus petits ont aussi été identifiés. Ces constructions prouvent l’agrandissement et le développement du port antique (Younes 1999a, 234).
Les vestiges archéologiques dans l’arrière-pays de la ville antique
Les prospections menées dans l’arrière-pays par A. Younes, ainsi que les découvertes fortuites réalisées au cours des dernières décennies, ont permis de mettre à jour la carte archéologique. Plus d’une trentaine de sites ont été localisés dans un rayon d’environ sept kilomètres autour de la ville antique. Ils témoignent clairement de la présence de ressources économiques de l’hinterland de Thapsus.
Une vingtaine d’établissements agricoles sont répertoriés dont certains correspondent à des uillae et à des grands domaines présentant des restes d’aménagements tels que des mosaïques, des fragments de marbre et des pilettes d’hypocaustes qui confirment la richesse de ces propriétés suburbaines (Younes 1999a, 322-327). Pour l’instant, un seul de ces sites daterait de la période punique.
Aucun de ces établissements n’a encore été fouillé. Cette situation explique sans doute pourquoi à l’heure actuelle aucune installation liée à la transformation des produits agricoles ou marins ne soit encore reconnue, hormis peut-être une « huilerie » dont l’identification demande d’ailleurs à être confirmée (Younes 1999a, 339). Or, il ne fait aucun doute que l’arrière-pays de Thapsus présentait des richesses parmi lesquelles la céréaliculture : d’après Pline, le Byzacium présentait une très forte fertilité (Pline, Hist. N., V, 3, 2). Le témoignage du naturaliste semble confirmé par l’existence de « cadastres » dans les campagnes autour de Thapsus. Dans l’Atlas des centuriations romaines de Tunisie, sur la feuille de Moknine, quelques traces de découpages réguliers du parcellaire sont figurées dans l’arrière-pays de Thapsus et de Leptiminus (Caillemer et Chevallier 1954, n°66). Or, des recherches menées au milieu des années 1990 à partir d'images satellitaires SPOT et de photographies aériennes ont montré qu’elles étaient bien plus nombreuses et quasi omniprésentes (Ouni et alii 1995). En raison de l’emploi de la coudée punique, et non du pied romain, les auteurs de cette étude supposent que ces découpages n’ont pas été tracés par des arpenteurs romains mais bien sous l’autorité de ces villes libres suite à la loi agraire de 111 avant notre ère. L’ensemble du territoire aurait été organisé assez tôt par la cité de Thapsus mais la possible succession de différents tracés encourage à poursuivre ce travail afin de mieux comprendre la chronologie et la politique de mise en valeur.
L’oléiculture, la vigne et les salaisons de poissons devaient également compter parmi les activités de production tout comme c’est le cas à Leptiminus (Mattingly et alii 2001) : elles sont attestées indirectement par la découverte de quelques ateliers de potiers dans et autour de la ville qui confirment, qu’entre la période punique et la période tardive, on fabriquait des amphores destinées à contenir et à exporter de l’huile, du vin et/ou des salaisons de poissons (Nacef 2015). D’autres ateliers de potiers dont la production n’a pas encore été identifiée sont recensés dans la ville (Younes 1999a, 296-297).
Enfin, deux carrières de tuf exploitées au cours de la période romaine et de huit fours à chaux supposés romains sont signalés (Younes 1999a, 341-343). Les pierres de ces carrières auraient bien été employées dans les constructions locales, tout comme ce devait être aussi le cas de la chaux.
Projet d’étude archéo-environnementale Thapsus
Problématiques
La ville de Thapsus, dont la fondation est traditionnellement associée à sa fonction de comptoir commercial, tient son identité urbaine de sa position littorale. Cette position impliquait le développement d’activités humaines spécifiques telles que les échanges et le commerce maritime, l’exploitation des ressources halieutiques, la construction navale, différentes activités qui restent toutefois en partie à identifier. À ce jour, mis à part les vestiges partiellement submergés du grand môle qui témoigne de l’importance des activités portuaires dans la ville, seuls quelques indices épars servent aujourd’hui à discuter de ces activités spécifiquement littorales.
Or, l’implantation urbaine dès la période punique indique que cette région présentait des avantages certains à l’occupation humaine et au développement d’activités de production sur sa face littorale comme dans son hinterland. Les recherches sur les activités économiques demeurent encore rares. Nous l’avons évoqué, il s’agit de l’un des quelques sites de la région qui n’a pas encore livré d’ateliers de salaisons de poissons.
Il apparaît indispensable de mener une recherche incluant la ville, son port et son territoire en raison de leur interdépendance.
En effet, en tant que cité portuaire, elle bénéficiait d’une place privilégiée car connectée au reste de la Méditerranée. Les travaux de terrain menés il y a quelques années à Leptiminus, ville située à une vingtaine de kilomètres au nord, ont révélé qu’en sa qualité de port exportateur, la richesse de la ville était due en partie à l’exportation des productions de son arrière-pays telles que l’huile et les salaisons de poissons stockées ensuite dans des amphores fabriquées dans la ville-même ou dans son suburbium (Mattingly et alii 2001, p. 264). En échange, par sa position privilégiée, la ville fournissait à ses habitants et à ceux des campagnes des produits qu’elle transformait – objets en métal et production de céramiques culinaires notamment –, mais aussi des produits d’importation.
Qu’en-est-il pour Thapsus ?
Comment la ville s’insérait-elle dans le réseau de ports actifs du Byzacium ? Comment l’arrière-pays fut-il organisé par la ville et de quelle manière a-t-il permis d’enrichir la cité ? Cette croissance de la ville est en partie attestée par l’agrandissement de son port qui semble avoir connu plusieurs phases d’aménagements.
Pour pouvoir définir les produits locaux, il est nécessaire d’identifier toutes les formes d’activités de production liées, ou non, à l’agriculture à la fois dans la ville et dans les campagnes sur le temps long pour tenter d’en comprendre les dynamiques et les évolutions. Il sera alors possible dans un second temps de poser la question de l’intégration de la ville, de son port et de ses produits dans les réseaux économiques qu’ils soient locaux ou méditerranéens.
Par ailleurs, cette position littorale la situe dans un milieu marqué par des transformations environnementales rapides (Slim et alii 2003) qui se manifestent par des évolutions constantes du trait de côte, liées aux variations du niveau marin. La transgression marine (estimée à quelques dizaines de centimètres depuis l’Antiquité – Slim et alii 2003, 230) provoque des inondations ou l’ensablement/envasement de certains secteurs. Ces transformations environnementales affectent non seulement la région côtière mais également l’arrière-pays marqué par la présence d’une sebkha dont les mutations sont intimement liées à l’évolution du niveau marin. Ces évolutions ont nécessairement des conséquences sur les installations humaines et les activités liées à l’exploitation des ressources de ces milieux littoraux.
Cette singularité littorale de Thapsus, ainsi que son histoire millénaire, en font un laboratoire d’étude particulièrement représentatif des impacts sur la longue durée des changements environnementaux et des adaptations humaines, en particulier dans les domaines de l’occupation et de la mise en valeur économique.
Objectifs et méthodologie de travail
L’étude de la ville antique littorale de Thapsus et de son territoire et des changements environnementaux et historiques qui les accompagnent sera conduite selon trois axes de recherches complémentaires : l’inventaire et l’étude des données archéologiques existantes ; les prospections géophysiques et les sondages/fouilles archéologiques ; l’étude paléo-environnementale et l’analyse de la dynamique physique du littoral.
L’inventaire et l’étude des données archéologiques existantes : l’urgence d’une intervention conservatoire face aux menaces actuelles
Les transformations environnementales actuelles marquées par une forte érosion naturelle, ainsi que le développement démographique, agricole et touristique de la région menacent la connaissance et la conservation du patrimoine archéologique.
Dès son abandon, la ville a servi de carrière pour la construction de l’agglomération voisine de Bekalta. Une partie des structures installées sur la côte ont également été emportées par l’érosion littorale. Beaucoup de vestiges encore visibles au XIXe siècle ont ensuite disparu (l’enceinte, le môle, les quais, etc.). Les quelques édifices encore en place subissent une dégradation accélérée. Le grignotage urbain et agricole empiète sur les terrains archéologiques et fait rapidement disparaître les vestiges enfouis (fig. 2). « Cette invasion lente et silencieuse » dénoncée dans une récente tribune par l’archéologue H. Ben Younes menace le patrimoine archéologique (« Adieu Thapsus… on t’aimait bien… ! », La Presse de Tunisie, 4 avril 2011 », rend nécessaire une intervention urgente d’inventaire, d’étude, de préservation et de protection des vestiges de la ville antique avant leur disparition annoncée. Le bord de mer a été tout particulièrement touché : une route moderne, qui n’existait pas encore lors des travaux d’A. Younes, a été aménagée tout le long de la côte où devaient se situer des aménagements portuaires puniques et romains. Outre la ville antique, les campagnes sont aussi marquées par une forte urbanisation : la ville de Bekalta s’est beaucoup développée ces dernières années et une partie des cadastres mise en évidence par K. Ouni est aujourd’hui détruite.
Il apparaît dès à présent nécessaire d’établir un inventaire exhaustif, précis et rigoureux des données archéologiques actuellement connues et/ou conservées qui prendra la suite du travail d’A. Younes (Younes 1999a). Cet inventaire passe par l’établissement d’une carte archéologique de la ville antique et de son arrière-pays qui s’appuiera sur l’élaboration d’un Système d’Information Géographique rassemblant les données disponibles (texte, cartes anciennes, éléments construits, signalement de vestiges et de découvertes matérielles, etc.). [Fr. Pouget]
Les finalités de cet inventaire informatisé sont triples :
- Par la compilation et le croisement des données recueillies (chronologie, extension, activités dominantes), il facilitera la réflexion sur la nature de l’occupation urbaine à Thapsus et dans son territoire.
- Il permettra d’orienter le développement des programmes de recherches à venir en déterminant des secteurs d’interventions archéologiques.
- En facilitant la réalisation des études d’impact et l’établissement de documents de gestion d’aménagement du territoire, ces données permettront d’orienter les décisions des services administratifs (INP) lors de projets de travaux affectant le patrimoine archéologique.
Une campagne de relevés et d’enregistrement des données architecturales est également à mener sur les vestiges encore en place, notamment sur les édifices publics (amphithéâtre, citernes, thermes et monuments centraux). Ce travail pourra éventuellement s’accompagner de sondages archéologiques spécifiques.
Les prospections géophysiques
L’inventaire précédent doit être complété par une série de prospections géophysiques (électriques, électromagnétiques et magnétiques), ainsi que par l’établissement d’un modèle numérique de terrain. Le recours à ces méthodes non intrusives permettra de couvrir une très large surface au sol et de révéler la présence de vestiges enfouis de manière plus efficace et précise que les prospections pédestres classiques.
Ces prospections géophysiques sont nécessaires d’une manière générale pour déterminer l’extension de l’occupation passée et l’emprise au sol des vestiges enfouis et donc les limites de la ville aux différentes époques, mais aussi les éventuels espaces suburbains qui existaient nécessairement hors-les-murs dont une partie est signalée déjà par A. Younes. Elles seront conduites prioritairement dans deux secteurs. D’une part, sur les limites de la ville antique en recherchant à la fois l’enceinte aujourd’hui disparue en surface du sol dans le but d’en restituer le tracé et l’emprise et pour déterminer l’étendue du domaine urbain extra muros. Des quartiers entiers se sont développés en dehors de l’enceinte, c’est du moins ce que l’emplacement de l’amphithéâtre laisse supposer. D’autre part, le long de côtes afin de rechercher d’éventuelles structures littorales (équipement portuaires, entrepôts, ateliers, etc.) qui se trouvaient généralement dans ces secteurs. Toutefois, les aménagements modernes tout comme l’évolution du trait de côte ont pu faire disparaître au moins une partie de ces témoignages archéologiques.
Deux méthodes géophysiques indépendantes seront mises en œuvre sur le site : la prospection magnétique et la prospection électrique. La prospection magnétique mesure les perturbations du champ magnétique terrestre générées par l’aimantation du sol. Elle est particulièrement adaptée à l’étude des zones chauffées (foyer, fours) et donc tout à fait adéquate pour localiser les fours d’ateliers (potiers, verriers, métallurgistes) et les thermes. Elle permet également la détection de structures fossoyées comblées de sédiments fins magnétiques (fosses, fossés, sépultures) ou de structures bâties en matériaux très faiblement magnétiques tel le calcaire (murs, voies). La seconde méthode mise en œuvre sera la prospection électrique, qui consiste à mesurer une résistivité électrique du terrain dans une gamme choisie de profondeurs ; elle est parfaitement adaptée à l'étude de structures bâties, résistantes, enfouies [V. Mathé ; Fr. Lévêque]. Elle concorde donc parfaitement avec la problématique de la délimitation de l’urbanisme de la ville et de la muraille. Dans le milieu suburbain et rural, cette méthode sera tout à fait appropriée à l’étude des bâtiments liés à la mise en valeur du territoire, en particulier les uillae et les grands domaines identifiés comme tels dont on pourra circonscrire l’étendue et localiser les aménagements spécifiques liés à la production (pressoirs, fouloirs, etc.) qui, dans un second temps, pourront faire l’objet de fouilles.
L’étude paléo-environnementale et l’analyse de la dynamique physique du littoral
L’étude paléo-environnementale repose sur une approche pluridisciplinaire du site et des vestiges incluant les campagnes, la sebkha et le trait de côte. Les analyses palynologiques et carpologiques permettront de connaître la flore ancienne. Un intérêt tout particulier doit être porté à l’identification des zones de culture. Le découpage régulier du parcellaire dans les campagnes de la ville prouve qu’elles ont été cultivées et mises en valeur très tôt, toutefois, il est encore impossible de déterminer la répartition des types de cultures – céréaliculture, arboriculture – notamment selon la nature des sols comme cela semble avoir été mis en évidence à partir du cas des cadastres de Rougga (Ouni et Peyras 2002). La compilation des données géologiques, géomorphologiques et archéologiques permettront d’avoir une meilleure idée de l’organisation de l’exploitation des terres agricoles sur la longue durée.
La place de l’oléiculture et de la viticulture demande en particulier à être réévaluée : aucun pressoir n’est identifié à ce jour. Les quelques dolia découverts dans deux sites ruraux autour de la ville (Younes 1999a, 164-165, fig. 134) seraient un indicateur de la production de vin dans la région plutôt que pour le stockage de l’huile ou des céréales.
Les études archéo-zoologiques et paléo-biologiques, s’attacheront à retrouver la faune ancienne. Le croisement de ces résultats fournira des informations sur les transformations climatiques et environnementales.
La Sebkha d’el Moknin doit faire partie de cette étude paléo-environnementale. La forte évaporation qu’elle connait en période estivale laisse apparaitre une croûte de sel sur sa surface (Chairi 2005, 115). Mentionnée dans les textes, haut-lieu de la bataille de Thapsus, il est fortement probable qu’elle ait été une source facile d’accès et qu’elle ait fourni du sel aux habitants et aux activités de production de la région dont les salaisons de poissons. La carte publiée par K. Ouni et J. Peyras montre d’ailleurs que la sebkha était intégrée à l’aménagement du territoire : les terres qui l’entourent conservent des traces de centuriation.
Ces études seront conduites en réalisant des carottages sur le terrain mais aussi à partir de prélèvements pratiqués lors des sondages et des fouilles archéologiques.
L’analyse de la dynamique physique du littoral est nécessaire pour comprendre l’évolution du trait de côte et identifier les processus d’érosion ou de sédimentation affectant l’installation et les activités humaines dans cette région. Elle sera conduite en combinant les approches. Elle s’intègre d’abord dans une étude préalable des dynamiques marines et hydro-géologiques de ce secteur méridional de la Méditerranée. [I. Brenon] Elle passe ensuite par la réalisation d’un modèle numérique de terrain à haute définition, combiné à des prospections géophysiques [V. Mathe ; Fr. Leveque] accompagnées d’études sédimentaires par carottages [J.M. Carozza]. La mise en relation des résultats obtenus et leur confrontation aux données fournies par les fouilles archéologiques permettront de retrouver l’évolution du trait de côte ancien en particulier à l’échelle des temps historiques.
Les sondages et les fouilles archéologiques
Les opérations de fouilles archéologiques seront conduites sur des installations et des aménagements anthropiques liés à l’activité économique aussi bien sur le littoral que dans d’autres secteurs du territoire (équipements portuaires, entrepôts, ateliers, etc.). Leur étude constituera l’objectif archéologique majeur de ce projet. Néanmoins leur localisation reste à établir en fonction des résultats des prospections géophysiques. Une fois déterminés par ces études géophysiques, les secteurs à fort potentiel d’étude seront l’objet de sondages de diagnostic puis, si l’intérêt de ces zones est confirmé, de fouilles archéologiques extensives et pluriannuelles.
Outre les restitutions fonctionnelle, architecturale et chronologique des vestiges étudiés, ces différentes opérations de sondages et de fouilles, conduites selon la méthode stratigraphique et en aire ouverte, permettront d’abord d’obtenir une chronologie de l’occupation du site. Les études des artéfacts et écofacts mis au jour au cours de ces travaux de terrain livreront des données non seulement sur la chronologie de l’occupation mais également sur sa nature, sur les échanges ainsi que sur le paléo-environnement.
L’étude du mobilier céramique découvert lors de ces opérations de terrain, complétée par des analyses pétrographiques, puis la recherche des ateliers locaux notamment par les prospections magnétiques facilitera leur caractérisation afin de pouvoir par la suite rechercher l’échelle de leur diffusion. [E. Jerray, T. Mukai, C. Capelli]
Les opérations de sondages et de fouilles envisagées dépendront nécessairement de la disponibilité des terrains et de l’obtention d’un permis de fouilles dont la demande sera préparé en collaboration avec les représentants scientifiques de l’INP (durée, équipe, emplacement, nature de l’activité, objectifs, etc.), dans le respect de la législation en vigueur.
Diffusion et valorisation des résultats et formation
Le développement du projet donnera lieu à la publication de différents articles et/ou actes de colloques, rédigés par les différents intervenants, en collaboration avec les directeurs du projet, qui porteront sur leur champ d’intervention spécifique.
L’ensemble des résultats du projet sera publié sous la forme d’une monographie de synthèse sur le site de Thapsus.
Par ailleurs, les résultats acquis seront mis à la disposition de la communauté scientifique dans un premier temps, et du grand public dans un second temps, par la mise en ligne du WebSIG.
L’avancée du projet fera l’objet d’une communication régulière auprès de la communauté scientifique et du grand public via les médias traditionnels mais aussi les outils numériques tels que les réseaux sociaux et par la réalisation d’une page web dédiée. [A. Combaud]. Cette communication, en particulier localement, est aujourd’hui nécessaire afin de faire connaître aux habitants la richesse de leur patrimoine et de les sensibiliser à sa protection et conservation.
Dans ce sens, les vestiges et artéfacts découverts au cours des opérations de fouilles réalisés dans le cadre de ce projet, seront restaurés et consolidées afin d’assurer, dans un premier temps, leur bonne conservation et, dans un second temps et dans les délais les plus brefs, d’envisager leur mise en valeur et leur présentation au public. Un telle mise en valeur apparaît indispensable sur un site comme celui de Thapsus où les menaces existantes pour la conservation du patrimoine sont aujourd’hui bien réelles.
À terme, les résultats de ce projet permettront la préparation d’un plan d’aménagement urbain en collaboration avec les autorités locales afin d’arriver à une politique d’occupation du sol réfléchie qui ferait coexister les zones bâties contemporaines et le site archéologique lui-même, et ce dans la perspective d’un plan général de restauration, de mise en valeur scientifique et d’exploitation touristique (création d’une zone éco-touristique à forte identité archéologique).
La mise en œuvre du projet s’accompagnera de formations et de stages aux différentes méthodes entreprises durant le déroulement des activités sur le terrain qui pourront s’adresser autant aux chercheurs qu’aux étudiants tunisiens et français. Elles viendront compléter la liste des disciplines enseignées dans le cadre du programme de formation-recherche portés par les institutions partenaires de ce programme.