Le projet consiste à étudier l’évolution de la présence juive dans plusieurs villes de la Couronne d’Aragon et ses conséquences sur leur physionomie, à la fois dans la longue durée et au rythme des accidents qui heurtent l’existence juive à la fin du Moyen Âge. La période couverte étant longue de près de trois siècles, nous retenons quelques grandes dates qui scandent l’analyse et qui sont des dates emblématiques dans l’histoire de la chrétienté et dans l’histoire de la péninsule Ibérique : 1215 (le 4ème concile de Latran), les années 1230-1250 (qui correspondent à la « reconquête » des Baléares et du royaume de Valence, les années 1306-1320 (pour essayer de mesurer les effets de l’expulsion des juifs du royaume de France et les effets de la croisade des Pastoureaux), 1348 (les conséquences de l’épidémie de peste), 1391 (les conséquences des massacres de l’été), 1415 (les effets de la prédication de Vincent Ferrier), 1450 (l’infusion de l’idéologie qui entoure la publication de la sentencia-estatuto à Tolède en 1449), 1492 (la situation à la veille de l’expulsion).
Il s’agit de mener une enquête à la fois chronologique et spatiale et de mettre en œuvre une approche évolutive des phénomènes observés à l’échelle de la ville, ou des villes considérées. Étant donné l’importance de la documentation à analyser qui constitue la principale difficulté du projet, nous avons choisi de retenir quelques villes : Barcelone, Saragosse, Gérone, Majorque, Valence et Perpignan pour dégager à la fois les points communs et les divergences dans la spatialisation du fait minoritaire au cœur de ces localités. Barcelone est un observatoire majeur dans la mesure où la cité catalane accueillait une communauté juive extrêmement importante et où les enjeux de pouvoir entre le roi et les élites municipales ont cristallisé entre autres autour de la question juive. Saragosse, capitale du royaume d’Aragon, est, elle aussi, une ville où la présence juive était particulièrement importante et où les rapports privilégiés qu’elle entretenait avec le roi avait des incidences en termes de visibilité pour ses membres. Quant à Gérone, elle était une ville phare du judaïsme catalan, centre d’étude majeur et berceau des sages juifs les plus célèbres de la fin du Moyen Âge. Les cas de Valence et Majorque sont également retenus car leurs juiveries ont été soit déplacées, soit abolies et la question des relations entre juifs et convertis après 1391 y a pris un tour particulièrement grave. En effet, à la suite des émeutes antijuives qui se produisent à l’été 1391 et qui gagnent une grande partie de la péninsule, la population juive a diminué de façon très importante dans certaines villes.
Dans les villes et localités concernées par la transformation du quartier juif, les lieux concernés sont précisément nommés et identifiés et la plus grande attention est portée à la reconfiguration de l’espace urbain et même au remembrement des parcelles, ce qui se traduit par des ventes et des transferts de propriété que l’on peut suivre dans la documentation notariale. Le projet s’attachera à montrer la logique géographique et spatiale, urbanistique et politique qui préside aux déplacements des minoritaires dans des villes qui pourtant les accueillaient parfois depuis des siècles.
À l’analyse de ces 6 villes « catalano-aragonaises » s’ajoute celle de la ville de Grenade, qui permet de comparer un éventuel modèle hispanique chrétien, à un exemple islamique de gestion des minorités religieuses. De même le cas de Tolède, qui a fait l’objet de l’étude pionnière de Jean Passini, doit servir de point de comparaison.
L’analyse de la documentation textuelle débouche sur la complétion d’une base de données spatiales, qui, couplée aux fonds cartographiques géoréférencés, aux cadastres et aux cartes historiques anciennes des villes considérées, permet l’élaboration de cartes, plans et couches qui mettent en évidence l’évolution spatiale des quartiers juifs et de la présence des minoritaires dans l’espace public. Les conclusions de l’analyse feront l’objet d’une monographie synthétique qui sera rédigée à la fin du projet, ainsi que d’une exposition itinérante.