Si on l'examine dans le contexte européen, le phénomène de la censure espagnole, au crépuscule de l'Ancien Régime, prend un contour plus marqué. Alors que partout s'ébauche ou se précise une tendance à prôner la liberté de presse, la monarchie espagnole est marquée d'abord au sceau de l'originalité. Cette différence a nom Inquisition. L'arsenal répressif étant bien en place après trois siècles de fonctionnement, il suffit du traumatisme que supposait - chez les puissants qui entouraient un Floridablanca ou un Godoy - la Révolution française pour faire basculer le royaume dans l'immobilisme. La Censure fut-elle aussi efficace que les autorités qui la commanditaient l'auraient souhaité ? Les ouvrages finissaient par passer, mais au prix de quels tourments ! L'autocensure joue à plein et grâce à l'art de composer avec la Censure nous pouvons aujourd'hui disposer de quelques-uns des plus beaux monuments classiques : toute la subtilité de la grande littérature d'antan, les jeux de miroirs des segundas intenciones, la profondeur de l'œuvre cervantine par exemple. Par signes ou par pirouettes verbales, par chistes, a longtemps parlé le peuple d'Espagne.