Axes
Trois objets transversaux et connexes serviront d’axes de recherche communs aux membres du programme : les territoires, les ressources et les savoirs insulaires.
Territoires – Le premier pan de l’enquête questionne d’abord la fabrique des régimes de territorialité insulaires. La mise en territoire des îles induit une organisation et une exploitation des ressources qui s’inscrivent aussi dans une histoire d’appropriation et d’intégration progressive à des réalités politiques et administratives qui les dépassent. Les terrains d’études choisis (Archipels des Malouines, de Cuba, des Canaries, des Philippines) permettront d’étudier et de comparer, sur la longue durée – et en y insérant une dimension coloniale et impériale – les modes d’appropriation des rivages et des espaces maritimes. L’enjeu est ainsi de tester la spécificité des milieux insulaires pour comprendre si ces mécanismes d’appropriation résultent de processus de territorialisation spécifiques. De même, les territoires insulaires confrontés à des appropriations d’entités plus larges (États « continentaux », empires, etc.), ont souvent été appréhendés comme des marges éloignées ou de taille réduite, à la fois proches et lointaines des centres du pouvoir. Ils sont tout à la fois des territoires de relais, de refuge, de relégation et d’activités interlopes qui se juxtaposent à des usages de la mer dont l’histoire reste en grande partie à écrire. C’est en ancrant notre démarche dans une histoire juridique et sociale au plus proche de l’espace habité et utilisé, que ce volet du programme conduira à éclairer des phénomènes aussi divers que les trafics maritimes, les activités de pêche ou les formes de sociabilité des populations maritimes.
Ressources – Parce qu’ils constituent des milieux inséparablement terrestres et maritimes, l’intérêt d’une enquête historique sur les ressources des milieux insulaires est d’embrasser dans un même effort d’analyse des richesses naturelles qui sont souvent abordées de manière compartimentée dans l’historiographie – à savoir la terre, l’eau, le bois et les animaux (la chasse et la pêche), mais aussi les minerais, le sable ou les hydrocarbures par exemple. La disponibilité de ces produits doit elle-même faire l’objet d’une contextualisation fine, le positionnement de leur exploitation, commercialisation et consommation dans le cadre des économies coloniales ou nationales, afin de problématiser au plus près de notre documentation la notion même de « ressources », notamment dans le sens d’une histoire sociale attentive à des savoirs vernaculaires. Trois grandes directions de recherche seront explorées ici. La question de la rareté, des limites écologiques et des risques de pénurie, qui caractérise souvent les milieux insulaires selon les spécialistes, alimentera une première réflexion autour des institutions permettant de réguler l’accès, l’usage et l’appropriation de ces ressources en contexte insulaire. Elle devra nécessairement s’articuler à une enquête sur la typologie et la spécialisation des îles, qu’il s’agira de regarder ici comme des points de passage. Notre attention se portera enfin sur les modes d’exploitation des différentes ressources et les formes d’organisation du travail qu’ils produisent pour en cerner, sur la longue durée et au sein d’espaces marqués par de profondes mutations, les singularités sociales, techniques et environnementales.
Savoirs – Le fait de s’interroger sur le gouvernement des milieux insulaires implique de centrer enfin l’enquête sur les savoirs, c’est à dire les connaissances produites, instituées, diffusées et mobilisées dans le processus de territorialisation de ces milieux insulaires. Dans ce dernier axe, il s’agit de considérer ensemble, et sur la longue durée, les savoirs de gouvernement territorial des îles, les savoirs écologiques et le gouvernement des ressources, la production des savoirs liés à la production des régulations, afin de saisir les processus de construction, de transmission et de patrimonialisation de savoirs spécifiquement insulaires. Que l’on se situe du côté des savoirs savants, profanes ou administratifs, on se demandera ainsi dans quelle mesure la fabrique des connaissances sur les espaces insulaires et leurs ressources, parfois considérées comme hétérogènes voire contradictoires, participent aussi d’un même mouvement de transfert progressif de savoir-faire du praticien au législateur, de l’insulaire au colon, de l’expérience à l’expertise. Au cœur de ces questions de transmission de savoirs, l’enquête portera aussi sur les acteurs et les modalités de leurs circulations : il s’agira notamment d’examiner les itinéraires et les réseaux des différents agents de la fabrique insulaire, depuis les administrateurs extérieurs qui portent un regard utilitaire sur l’espace insulaire et qui font carrière « dans les îles », jusqu’à l’ensemble des acteurs qui développent une forme d’expertise sur l’exploitation des ressources insulaires.
Objectifs
L’objectif de ce programme est de questionner les formes de gestion et de patrimonialisation des ressources et des populations insulaires, les formes de leur représentation –cartographique, iconographique, littéraire, voire artistique–, la mise en administration de ces territoires, les cadres juridiques de leur exploitation, les conflits de compétence entre institutions, ainsi que leurs arbitrages à différentes échelles locale, régionale, impériale et internationale. Derrière la notion de « gouvernement des îles », il s’agit d’ancrer la pratique historienne dans l’étude d’espaces envisagés depuis la mer, mais également entre terre et mer, présentant les défis particuliers liés à leurs propres singularités.